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Première intervention de Frédéric Cuvillier à la tribune de l'Assemblée

Publié par Frédéric CUVILLIER sur 18 Janvier 2008

ASSEMBLEE NATIONALE - LE 17 JANVIER 2008
Première intervention du député Frédéric Cuvillier à la tribune de l'Assemblée Nationale, sous le "perchoir" du Président 
suite à la déclaration M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, sur le Grenelle de l’insertion.

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En vous regardant sur le banc des Ministres, monsieur le Haut Commissaire, je me faisais la réflexion que vous sembliez particulièrement seul. C’est d’autant plus regrettable que vous semblez mettre beaucoup d’espoir dans ce Grenelle de l’Insertion, or, si les ambitions affichées devaient se traduire dans les faits, la moitié du gouvernement devrait être à vos côtés, voire sous votre autorité. Car l’affichage ne souffre pas de modestie.


Le Président de la République a lui-même fixé cette ambition : diminuer d’un tiers la pauvreté dans notre pays en 5 ans. La France compte en effet 7 millions de pauvres, soit 10% de la population vivant avec moins de 650€ par mois.


Loin de moi l’idée de modérer votre enthousiasme, mais force est de constater qu’un certain nombre d’éléments peuvent nous amener légitimement à douter de la réalité du dispositif appelé « Grenelle de l’insertion ».


Si les effets de présentation, de communication semblent particulièrement bien organisés, il y a cependant de fortes chances pour que ce Grenelle n’en reste qu’à des pétitions de principe, on peut même se demander si par certains aspects il ne vaudrait pas mieux qu’il en soit ainsi…


Quoi qu’il en soit, permettez-moi, avant d’aborder certaines questions de fond, de vous expliciter les réserves qui sont les nôtres :

- vous souhaitez dans ce grand débat public évoquer l’insertion ; or, notre débat convenez-en risque fort d’être étriqué.

- vous n’abordez qu’une facette de l’insertion à dominante économique plus précisément professionnelle, or, les parcours d’insertion, c’est un tout :

-vous ne pouvez sérieusement traiter de ceux-ci sans embrasser d’autres domaines non moins importants. C’est le cas du logement car sans adresse, sans un domicile décent, pas d’emploi. C’est le cas des questions d’éducation, de la formation tout au long de la vie, de sortie du système éducatif, ce n’est pas une question secondaire car 9% de la population entre 18 à 65 ans est en situation d’illettrisme ; c’est le cas encore de la protection sociale et de la santé, de l’accès aux soins et aux droits liés à la sécurité sociale,

- c’est le cas de la nouvelle politique de la ville annoncée par Mme Boutin en opposition avec sa secrétaire d’Etat Fadela Amara qui, elle, prépare un plan Banlieue…Peut-être qu’en intervenant dans le débat, pourriez-vous aider à une plus grande cohésion gouvernementale.

- c’est aussi le cas de la question fondamentale de la mobilité et des transports…


Or de tout cela pas un mot. Pire, bon nombre de chantiers engagés dans ces domaines par vos collègues le sont dans des textes épars qui pourraient pourtant relever de nos préoccupations, de nos débats.

- c’est le cas de la réforme du service public de l’emploi, voire de la réforme du marché du travail, c’est le cas des conditions d’accès aux soins, des minima sociaux…On pourrait d’ailleurs s’attendre, compte tenu de ce que vous affichez comme priorité, que ces textes soient sous-tendus par la même orientation, or, force est de constater que lorsqu’on programme de vendre plus de logements sociaux qu’on en construit…lorsqu’on instaure des franchises médicales, on ne va pas dans le sens de plus d’insertion, ni même lorsque vos collègues annoncent la suppression des maisons de l’emploi avant même qu’une évaluation n’ait été faite.


Mais vous ne manquez pas de persuasion Monsieur le Haut Commissaire, aussi sommes-nous tout prêts à vous croire, Ainsi, nous nous disons, si c’est une priorité du Président de la République, alors tout devient possible… Vous aurez les moyens de vos ambitions. Car c’est aussi au travers des moyens mobilisés que l’on mesure la volonté politique. De cela pas un mot. Vous n’aurez donc pas un centime de plus et vous êtes condamné à faire avec ce que vous avez.


Et quand on regarde le sort qui vous a été réservé lors de l’examen de la loi de finances, là nous sommes inquiets et nous craignons que ce Grenelle de l’Insertion ne soit en vérité qu’une opération de camouflage, car, souvenez-vous, les crédits destinés à la prévention de l’exclusion et l’insertion des personnes vulnérables sont en baisse de plus de 5%..., les crédits en faveur des jeunes baissent de près de 14% alors même que les collectivités locales participent au financement des points d’accueil et d’écoute jeunes, qui sont des lieu de soutien aux jeunes en difficulté… les crédits pour les allocations et prestations d’aide sociale aux personnes âgées et aux personnes handicapées n’augmentent pas, pas plus que ceux des services de veille sociale ou d’accueil et d’orientation… J’arrête ici ce qui pourrait devenir une longue et fastidieuse énumération.


Même pour les sujets qui se trouvent être au cœur des discussions du Grenelle, vos collègue ne vous ont pas facilité la tâche. C’est le cas des contrats aidés que vous avez unilatéralement stoppés au cours des derniers mois de 2007. Pour 2008, votre programmation n’est guère plus encourageante puisque vous en supprimez 60 000 et diminuez d’un tiers les crédits. Des centaines de collectivités ont voté des motions de protestation. Dans ma ville se sont 80 personnes concernées, et plusieurs dizaines ont eu pour cadeau de Noël à offrir à leur famille le non-renouvellement de leur contrat.


Un élément est introduit dans les thèmes que vous souhaitez voir aborder à l’occasion de ce grenelle : il s’agit de la notion d’employabilité. Celle-ci constitue à nos yeux un réel danger. Danger tout d’abord en ce qui concerne la définition même de ce terme. A partir de quand peut on considérer qu’une personne est ou non en situation d’employabilité ? Selon quels critères ? Qui en assurera l’appréciation ?


Il y a danger également quant aux finalités de cette classification. Nous ne sommes pas en Grande-Bretagne où existe, en effet, une classe de la population qualifiée « d’incapacity » et qui représente une sous couche de la société…est-ce là un modèle ?


N’est-ce pas confirmer un statut de l’exclusion que de soutenir pareille approche ? N’est-ce pas condamner tout espoir d’insertion pour une partie de notre population et par là même se résigner à un constat : celui de l’échec de la société dans son ensemble à permettre la chance d’un accès à la citoyenneté pour tous.


Comment soutenir la pertinence de cette notion « d’employabilité », notamment pour des personnes touchées par le handicap ou placées sous la protection judiciaire ? Ayant visité, il y a peu, dans ma ville de Boulogne-sur-Mer des ateliers protégés, je crois pouvoir vous dire que ce que j’y ai vu dément cette approche. Des personnes qui auraient été certainement classées « inemployables » aujourd’hui, après un long processus d’insertion par le travail, fabriquent des objets médicaux de grande précision.


Par ailleurs, l’insertion suppose que l’on place au centre des dispositifs la personne, et non sa capacité à être productive, de placer au cœur de nos préoccupations l’être, son histoire, son parcours, ses carences… La spécificité et l’adaptation des parcours d’insertion sont le pendant de l’efficacité de l’accompagnement.


Ce sont les parcours mêmes de l’insertion qui doivent être différenciés en introduisant par exemple une distinction entre les activités qui relèvent du secteur marchand et celles qui n’en sont pas, mais qui, par ailleurs, n’en sont pas moins indispensables à la société.


Il est toutefois particulier, même lorsque l’on parle d’insertion, de vouloir tout unifier, c’est à la mode, tout standardiser : allocation unique, guichet unique, contrat unique… Certes la simplification des procédures doit être envisagée, mais, en posant comme postulat à toute réflexion la volonté de créer un contrat unique, n’est-ce pas aller à l’encontre même du but poursuivi, c’est-à-dire l’insertion de la personne…


Car la précarité face à l’emploi n’est pas la même :

- elle peut être exceptionnelle et de faible antériorité (suite à un problème familial, un divorce, une séparation, une perte récente d’emploi…),

- elle peut être au contraire plus ancienne avec des carences identifiées (en termes de formation ou d’illettrisme par exemple…).


Il peut s’agir enfin de difficultés plus profondes rendant difficile la confrontation à la réalité économique.


Ainsi, gommer toutes ces différences revient à mettre en place un système unique qui sera inadapté à la plupart des situations personnelles.


Ce n’est pas la même chose de pouvoir bénéficier d’un contrat permettant de rebondir et de dépasser une période délicate, que d’avoir recours à des contrats renforcés par moyens de formation permettant, suivant une durée modulable, de remettre à niveau l’intéressé pour un retour à l’emploi, qu’enfin orienter certaines personnes vers des structures adaptées avec des personnels formés et un lien privilégié avec des partenaires sociaux qui peuvent agir sur l’environnement familial.


Par ailleurs, un contrat unique posera d’innombrables questions. En terme d’efficacité tout d’abord : comment confier aux mêmes structures, avec un même parcours des personnes aux expériences et aux réalités si lointaines ? Mais aussi des questions en terme de gouvernance et de compétences…


Qu’il soit unique ou qu’il ne le soit pas, le contrat d’insertion doit impérativement être un contrat de travail de droit commun afin d’éviter toute discrimination et de garder comme cadre les garanties de protections posées par le droit du travail.


Par ailleurs, chacun des acteurs de l’insertion insiste, et nous en sommes les témoins, voire les victimes au sein de nos collectivités, sur les conditions d’allocation des contrats aidés qui souvent privent le système de toute efficacité.


Aujourd’hui, l’attribution des contrats aidés est la négation même d’un parcours individualisé. Elle dépend d’éléments conjoncturels, de contraintes budgétaires, voire de l’évolution des statistiques du chômage… Sans cohérence, sans vision à long terme, sans évaluation de l’efficacité du système. L’attribution de contrats est aujourd’hui le fait du prince, un exercice solitaire de l’Etat.


Il n’est pas sérieux d’attendre des associations, des collectivités des résultats probant en terme d’insertion lorsque toute organisation de missions, de services à la population, se trouve dépendante du nombre de contrats attribués tous les 6 mois. De nombreuses personnes se trouvent stoppées net dans leur parcours de retour à l’emploi en raison d’une non reconduction des contrats. Vous le savez, il faut un minimum de temps, de stabilité pour permettre le suivi individualisé, des formations adaptées et une réadaptation de la personne au monde du travail. Ce qui avait fait la réussite de dispositifs tels que les emplois jeunes était leur durée, leur rôle de tremplin vers la vie active et un haut niveau d’exigence en terme de formation.


Si dans mon département du Pas de Calais, près de 50% des contrats aidés débouchent sur une activité pérenne, nous ne le devons pas à l’Etat qui, lorsqu’il fait lui appel à ces contrats, notamment dans l’éducation nationale, n’assure pas sa responsabilité morale qu’est l’insertion des personnes concernées. M. DARCOS répondant à une question de Mme Bello hier précisait pour essayer de justifier la suppression massive des contrats aidés : « par définition les contrats aidés sont transitoires » il aurait dû être plus précis et dire que pour l’Etat ils sont éphémères.


Par ailleurs, et je crois que c’est fondamental, la répartition de ceux-ci ne peut être uniforme sur l’ensemble du territoire de la Nation. Une priorité doit être réservée pour les régions qui sont confrontées à un taux de chômage les plus élevés, ou encore pour les départements qui mettent en place des politiques de performance d’insertion…


Il faut renforcer l’efficacité des systèmes d’insertion : ceux-ci n’auront de sens que si la durée est suffisante car, il ne faudrait pas que les publics concernés se trouvent dans une stabilité de l’exclusion, mais dans une instabilité de l’insertion. Les professionnels ont aussi besoin de stabilité : des associations intermédiaires m’indiquaient combien le désengagement de l’Etat dans les aides qui leur étaient réservées leur pose des questions d’existence, mettent en péril le devenir de ces structures. Si vos collègues du gouvernement entendent allonger les périodes d’essais pour les CDD ou les CDI, démontrent qu’il faut du temps pour intégrer des personnes aux entreprises, alors pourquoi cette démonstration ne s’applique-t-elle pas aux Associations Intermédiaires qui, elles, voient leur contingence horaire diminuer. Elles sont limitées à 240 heures par personne salariée… comment être alors efficace ? Elles se trouvent confrontées à une obligation de résultat quand l’Etat lui s’éxonère de ses obligations de moyens.


Les questions que vous posez, Monsieur le Haut Commissaire, sont pertinentes : toutes les pistes doivent être explorées pour rompre avec cette spirale de la précarisation. Car, à coté de l’exclusion, il y a la crainte de l’exclusion. Or, nul n’en est à l’abri : 60% des français craignent de se trouver dans une situation d’exclusion…

- Efficacité et évaluation des stratégies d’insertion et de formation,

- Insertion et apprentissage dans l’entreprise

- Incitation pour les entreprises à jouer la carte de l’insertion. Des clauses d’insertion doivent être généralisées dans les marchés publics, et là où le marché le permet,

- Permettre et faciliter l’accès des associations et des entreprises d’insertion dans les appels d’offres,

- Inciter la présence de tuteurs dans les entreprises,


Il nous faut également rationaliser les mécanismes de suivi des bénéficiaires, mieux coordonner les acteurs de terrain, ne pas multiplier les référents, renforcer les liens avec les entreprises qui ne peuvent se détourner des parcours d’insertion et doivent y voir une force plus qu’une faiblesse.


Vous le savez, monsieur le Haut Commissaire, Grenelle dans sa terminologie historique rime avec acquis, progrès et avancées sociales... Votre démarche, je dois vous le témoigner, crée de grands espoirs chez les acteurs de l’insertion et au sein des populations concernées... Votre, notre devoir n’en est que plus grand car derrière les mots il y a la souffrance, il y a la vie de milliers de familles en marge des bonheurs de notre société. Alors, Monsieur le Haut Commissaire, faites que par ce Grenelle ils puissent enfin retrouver quelques signes d’ espoir.


Le débat intégral de cette séance est lisible sur le site de l'Assemblée Nationale :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2007-2008/20080103.asp#P56_1704